- lumicoeurdencre
- 27 oct.
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Il y a quelque chose qui se noue dans la gorge quand on n'ose pas exprimer ses émotions. Une tension qui s'installe, imperceptible d'abord, puis qui devient un poids familier. Combien de fois avons-nous ravalé nos mots, enfermé nos vérités, étouffé nos non ? Et combien de ces silences se sont transformés en douleurs, en symptômes, en cette fatigue inexpliquée qui nous habite ?
La liberté d'expression n'est pas qu'une question politique ou juridique. Elle est d'abord une capacité intime, viscérale : celle de laisser notre vérité traverser notre corps et rencontrer le monde. Quand cette liberté est entravée — par la peur, par les conditionnements, par les blessures anciennes — c'est toute notre énergie vitale qui se trouve comprimée.
Comment le Corps Retient les Émotions Non Exprimées
Dans mon travail d'accompagnement thérapeutique, je rencontre régulièrement des personnes qui souffrent sans comprendre pourquoi. Des tensions chroniques au niveau de la gorge, des difficultés à avaler, des extinctions de voix récurrentes, des douleurs cervicales persistantes. Lorsque nous explorons ensemble ce qui habite leur inconscient, nous découvrons souvent la même chose : des années de mots non dits, de colères avalées, de désirs tus.
Le corps ne ment jamais. Il garde la mémoire de tout ce que nous n'avons pas pu exprimer. La tradition énergétique parle du chakra de la gorge, ce centre qui gouverne notre capacité à communiquer authentiquement. Mais au-delà des concepts, c'est une réalité que chacun peut expérimenter : quand on retient sa parole, on bloque aussi son énergie vitale, on contracte sa nuque, on fige son diaphragme.
Cette répression a souvent commencé très tôt. "Ne dis pas ça, qu'est-ce que les gens vont penser ?" "Tais-toi, tu ne sais pas de quoi tu parles." "Arrête de pleurer, arrête de crier." Enfants, nous avons appris que notre expression spontanée pouvait être dangereuse — dangereuse pour notre sécurité affective, pour notre appartenance au clan familial. Alors nous avons développé des stratégies de survie : le silence, l'adaptation, le masque social.
La Philosophie de la Parole Libératrice
Les philosophes des Lumières avaient compris quelque chose d'essentiel : sans liberté d'expression, il ne peut y avoir de véritable liberté intérieure. Voltaire défendait ce principe devenu légendaire : "Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire."
Transposée dans notre vie personnelle, cette maxime prend un sens profond : avons-nous le droit, dans notre propre espace intérieur, d'exprimer toutes nos parts ? Y compris celles que nous jugeons, que nous trouvons honteuses, inconvenantes ? La colère qui nous habite, la tristesse qui nous submerge, le désir qui nous embarrasse — ont-ils le droit d'exister et de s'exprimer, au moins devant nous-mêmes ?
John Stuart Mill, dans son essai Sur la liberté, soutenait que seul le préjudice direct à autrui pouvait justifier une limite à l'expression. Cette sagesse s'applique aussi à notre dialogue intérieur : nous nous censurons souvent non pas parce que nos pensées ou émotions feraient du mal à quelqu'un, mais par peur du jugement, par conformité sociale, par loyauté inconsciente à des injonctions anciennes.
Emmanuel Kant nous rappelait que toute liberté doit pouvoir coexister avec la liberté d'autrui. C'est là que se situe la subtilité : retrouver notre voix ne signifie pas agresser les autres avec notre "vérité". C'est apprendre à exprimer notre réalité intérieure de manière authentique et respectueuse. C'est sortir de deux extrêmes : le silence qui nous détruit et la parole qui blesse pour se venger du silence passé.
Le Paradoxe de la Tolérance Intérieure
Karl Popper a formulé ce qu'il appelait le "paradoxe de la tolérance" : une société qui tolère l'intolérance finit par être détruite par elle. Ce paradoxe s'applique remarquablement à notre paysage intérieur.
Beaucoup de personnes que j'accompagne ont développé une intolérance envers certaines parties d'elles-mêmes. Elles ne peuvent "tolérer" leur vulnérabilité, leur besoin d'aide, leur colère, leur sensibilité. Elles ont intériorisé des voix critiques qui censurent impitoyablement toute expression authentique. Cette intolérance intérieure crée un état de guerre permanent avec soi-même.
Le paradoxe, c'est que pour guérir, il faut parfois devenir "intolérant à notre intolérance". Refuser de continuer à laisser ces voix critiques régner en tyrans. Dire non, fermement, à cette partie qui nous interdit d'être nous-mêmes. C'est un acte de souveraineté : reprendre le pouvoir sur notre propre territoire intérieur.
La Parole Créatrice et la Guérison
Dans presque toutes les traditions spirituelles, la parole précède la création. "Au commencement était le Verbe", dit l'Évangile. Dans la Genèse, Dieu crée le monde en parlant : "Que la lumière soit." Ce principe mystique est aussi une vérité psychologique profonde.
Nommer ce qui nous habite, c'est déjà commencer à le transformer. Quand on peut dire "J'ai peur", la peur change de nature. Quand on peut exprimer "Je suis en colère contre toi", la colère cesse d'être un poison qui nous ronge de l'intérieur. Quand on peut formuler "J'ai besoin", le besoin peut enfin être rencontré ou traversé consciemment.
Les chamans de nombreuses traditions utilisent le pouvoir du son et de la parole pour guérir. Ils comprennent que certaines maladies sont des "paroles gelées" — des expressions qui n'ont jamais pu se déployer et qui se sont cristallisées dans le corps. La guérison passe alors par la libération de ces paroles prisonnières.
Le bouddhisme enseigne la "parole juste" comme l'un des éléments du Noble Chemin Octuple. Elle n'est pas l'absence de parole, ni la parole édulcorée, mais l'expression alignée avec la compassion et la vérité. Cette sagesse est précieuse : notre liberté d'expression ne se mesure pas à la quantité de mots, mais à leur authenticité et à leur justesse.
Retrouver Sa Souveraineté par la Voix
La souveraineté personnelle commence par là : reprendre possession de sa voix. Cela ne se fait pas en un jour. C'est un chemin progressif de réappropriation.
Première étape : écouter ce qui vit en nous. Avant d'exprimer, il faut reconnaître. Qu'est-ce qui est vraiment là, sous le masque social, sous les "il faut" et les "je devrais" ? Souvent, nous ne savons même plus ce que nous ressentons vraiment tant nous avons l'habitude de nous censurer.
Deuxième étape : se donner la permission. Autoriser toutes nos parts à exister dans notre espace intérieur. Même les plus sombres, les plus inconfortables. Cela ne signifie pas agir sur tout ce que nous ressentons, mais reconnaître que cela existe. C'est déjà un acte de liberté immense.
Troisième étape : trouver des espaces sécurisés pour s'exprimer. Tout le monde n'est pas prêt à entendre notre vérité. Choisir des personnes de confiance, un thérapeute, un groupe de parole, ou même un journal intime. Des lieux où nous pouvons déposer nos mots sans risque.
Quatrième étape : poser nos limites. Apprendre à dire non. À exprimer nos besoins. À nommer ce qui ne nous convient pas. C'est souvent la partie la plus difficile, car elle réactive la peur de l'abandon, du rejet, du conflit.
Cinquième étape : assumer notre vérité dans le monde. Progressivement, oser être nous-mêmes, même quand cela ne plaît pas à tout le monde. Accepter que certaines personnes s'éloignent, que certaines relations se transforment. C'est le prix de l'authenticité — et aussi sa récompense.
Quand le Silence est aussi une Expression
Il y a un dernier paradoxe à explorer : parfois, le silence est aussi une forme d'expression libre. Choisir de ne pas parler — non par peur, mais par sagesse — c'est différent du mutisme imposé par le trauma.
Rumi, le poète soufi, écrivait : "Le silence est le langage de Dieu, tout le reste n'est que mauvaise traduction." Il y a des moments où se taire est la réponse la plus juste. Où garder son énergie, ne pas nourrir le conflit, laisser l'autre dans son chemin, sont des actes de souveraineté.
La vraie liberté d'expression inclut aussi la liberté de se taire. Mais c'est un silence choisi, habité, conscient. Pas un silence de soumission ou de répression.
Le Chemin Continue
Retrouver sa voix est un processus de toute une vie. Il y aura toujours de nouvelles couches de conditionnement à traverser, de nouvelles peurs à apprivoiser, de nouvelles vérités à oser exprimer.
Ce chemin est celui de la libération. Chaque fois que nous osons dire notre vérité — avec respect mais sans compromis — nous libérons une part d'énergie vitale qui était emprisonnée. Nous réparons quelque chose de profond en nous. Nous redevenons entiers.
Car au fond, s'exprimer librement, c'est accepter d'exister pleinement. C'est refuser d'être réduit au silence par nos propres peurs. C'est honorer cette force de vie qui nous traverse et qui demande à se déployer dans toute sa richesse, avec toutes ses contradictions, dans toute sa beauté imparfaite.
Notre voix est notre souveraineté. La retrouver, c'est rentrer chez soi.
FAQ
Pourquoi je n'arrive pas à exprimer mes émotions ?
L'incapacité à exprimer ses émotions provient souvent de conditionnements familiaux et de blessures anciennes. Dès l'enfance, on nous apprend parfois que certaines émotions sont dangereuses ou inappropriées. Ces blocages s'inscrivent dans l'inconscient et se manifestent par des tensions physiques, notamment au niveau du chakra de la gorge.
Comment retrouver sa voix intérieure ?
Retrouver sa voix passe par cinq étapes : écouter ce qui vit en vous, vous donner la permission de ressentir, trouver des espaces sécurisés pour vous exprimer, apprendre à poser vos limites, et progressivement assumer votre vérité dans le monde. Un accompagnement thérapeutique peut grandement faciliter ce processus de libération émotionnelle.
Quel est le lien entre émotions refoulées et douleurs physiques ?
Les émotions non exprimées se cristallisent dans le corps sous forme de tensions, douleurs chroniques ou symptômes inexpliqués. Le corps garde la mémoire de ce que nous taisons. La guérison passe alors par la libération de ces paroles prisonnières et le rétablissement de la circulation énergétique.
Qu'est-ce que la souveraineté personnelle ?
La souveraineté personnelle est la capacité à reprendre possession de sa voix et de son pouvoir décisionnel. C'est refuser de laisser les peurs, les conditionnements ou les attentes des autres dicter notre vie. Elle se construit progressivement en apprenant à dire non, à exprimer ses besoins et à honorer sa vérité intérieure.
Comment commencer un travail de libération émotionnelle ?
Commencez par observer vos émotions sans jugement. Notez dans un journal ce que vous ressentez vraiment. Identifiez les situations où vous vous censurez. Cherchez un espace sécurisé (thérapeute, groupe de parole) où déposer vos mots. La libération émotionnelle est un processus progressif qui demande de la bienveillance envers soi-même.









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